Romain Huët est un universitaire qui, de son propre aveu, “n’aime pas trop le monde universitaire”. Les cadres trop stricts et les contraintes ne semblent pas vraiment convenir à cet indompté du système académique. Détenteur d’un bac technologique dans le commerce, il assure que “si Parcoursup avait existé à [son] époque, [il ne serait] pas maître de conférences aujourd”hui”. Il doit son “réveil” à “un enseignant de psycho-socio un peu fou”, amateur du philosophe Régis Debray, et à son appétence pour l’enquête et l’écriture : “Quand j’ai réalisé mon mémoire de master, je me suis dit : ‘Je veux faire ça toute ma vie !’”

En 2010, tout juste arrivé à Rennes 2, Romain Huët prend le risque de ne pas poursuivre ses travaux de thèse sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et change de direction. “La nuit, j’étais bénévole à SOS Amitiés comme écoutant, se souvient-il. Un jour, le directeur de l’association a eu l’idée de lancer une recherche sur les propos des appelant·es, ce matériau de dingue, et il s’est tourné vers moi.” Fasciné par ces vies anonymes d’épuisé·es, il y voit “la possibilité, non seulement de dénoncer la société brutale à l'origine de ce mal-être, mais aussi de réfléchir à ce qu’ils et elles pourraient en attendre”. Sa passion pour celles et ceux qui se heurtent au monde - et se débattent - est née. 

En première ligne

Cette proximité avec le sujet stimule l’ethnographe et le pousse sur des terrains toujours plus lointains et dangereux. Auprès d’émeutier·ères, gilets jaunes et zadistes, en France, puis de combattant·es en Ukraine et en Syrie, relatés dans ses livres, Le vertige de l’émeute et La guerre en tête. Romain Huët défend aujourd’hui cet “engagement subjectif et corporel dans les phénomènes étudiés”, une approche scientifique intime, “très intense en termes de relations sociales et d’amitiés”. “Un chercheur ou une chercheuse, c’est une personne qui essaie de raconter le monde, avec beaucoup d’approximations certes, sourit-il, mais qui préfère le raconter que se tenir en silence.”

À la fac, Romain Huët enseigne aussi la sociologie et la philosophie politique avec un plaisir évident. “On a vu au moment du Covid un mépris assez clair pour cette génération, ce qui m’inquiète énormément. Une société qui ne prend pas soin des jeunes s’interdit de nouveaux commencements, déplore-t-il. C’est une génération qui hérite d’un monde abîmé, menacé, et de la responsabilité gigantesque du changement. Des étudiant·es s’emparent notamment des questions écologiques et féministes et interrogent toute une série de dominations évidentes avec une acuité et une lucidité incroyables : c’est donc aussi un moment d’exploration intellectuelle fantastique.” Et l’une des raisons pour lesquelles le quarantenaire “adore [son] métier” : “Cela permet de garder une forme de vitalité !”

Un podcast pour déchiffrer le présent et imaginer l’avenir

“Face à l’urgence et au vertige du présent”, Romain Huët en est convaincu, “il faut répliquer.” En novembre 2023, avec des connaissances dont certain·es ancien·nes étudiant·es*, il lance Cracker l’époque, “le podcast des imaginaires politiques”. “Je n’avais pas juste envie de râler sur l’état de la situation, je voulais créer un espace intellectuel d’échanges, hors du domaine universitaire, pour tenter d’utopier le monde.” Alain Damasio, Alice Zeniter, Najat Vallaud-Belkacem ou encore Tristan Garcia font ainsi partie des premier·ères invité·es de ce format hebdomadaire. “Chacun·e dans l’équipe fait des propositions de personnes à rencontrer, ce qui apporte différents regards ; c’est important”, souligne-t-il.

La lourde charge de travail liée au podcast ne le décourage pas, au contraire : “Toutes les personnes que je rencontre et tous leurs travaux m’aident à penser, à réfléchir, et donc nourrissent mes recherches et mon enseignement.” Sa seule préoccupation concerne la longévité de cette proposition, car “ce genre d’initiatives n’existe qu’à partir du moment où elle dure”. Le 30 janvier 2025, Cracker l’époque célèbrera justement sa première année d’existence en enregistrant un épisode, une fois n’est pas coutume, à l’Université Rennes 2. Romain Huët et Emma Chignara, doctorante et enseignante à Rennes 2, tendront leur micro à la jeune metteuse en scène Manon Ayçoberry, une autre exploratrice des violences via la création radiophonique. Il et elles tenteront ensemble “d’ouvrir la pensée à quelques avenirs désirables”.